mercredi, décembre 14, 2005

Ma mère opressante


Maman, je te dédie cette page. Elle m'a été inspirée par un petit camarade dont je tairai le nom.
Oui, ma maman est angoissée à l'idée de voir s'éloigner sa nichée. Elle a été une mère plus qu'aimante, une mère avant d'être une épouse peut être, elle s'est épanoui dans son rôle maternel.
Les liens très forts qu'elle a tissés avec mes frères et moi, elle a parfois eu du mal à les lacher pour nous laisser du leste. Si sa place de mère est à jamais acquise dans nos vies, elle a dû subir une évolution bien naturelle pour nous permettre de devenir des adltes à part entière. Cette charnière de sa vie, elle l'a vécu heureusement ou douloureusement, et j'en ai parfois fait les frais. Quoi que je raconte ici, sache, maman, que je n'en garde aucune rancoeur, mais plutôt le souvenir amusé d'une mère qui a maille à laisser s'envoler sa couvée.
Le pire moment de ma vie a été cette fois où j'ai été convoqué par la secrétaire de mon DESS. Dans une promotion d'une trentaine d'élèves, les rapports humains sont directs, et la secrétaire était devenue proche de nous. C'était au mois de juin je crois, ou mai peut être. J'étais sensé partir en stage début juillet, mais aucun organisme n'avait répondu positivement. Je suis donc convoqué et me retrouve face à Madame Alexandre. Elle me tend, hilare, une lettre en me disant "Mais dis donc, Philippe, ta maman est bien anxieuse pour toi. Mais il faut lui dire de ne plus faire des choses comme ça!". Je lis, tremblant la lettre et reconnais l'écriture de ma chère maman.
"Monsieur le Directeur de l'école d'architecture de Belleville
Comment se fait-il que MON fils n'ait pas encore de stage alors que tous ses petits camarades se sont vu proposé un stage. C'est intollérable. J'attends que vous remédiiez au plus tôt à cette situation!"
J'étais donc rouge de honte face au sourire ironique de la secrétaire, qui se lance dans une tirade à la cyrano sur ces mères affreuses qui maternent leurs rejetons. A présent rempli de colère, je suis sorti en jurant de sermonner la mère indigne qui a osé faire ça. Le soir, au téléphone, j'ai été touché par ses arguments de mère aimante et désolée à l'idée que son poussin n'ait pas les mêmes chances que les autres.
Par la suite, le directeur de mon DESS m'a trouvé un stage et je suis donc parti trois mois au Maroc, dans l'agence d'un de ses amis. Je me retrouvais seul dans une ville inconnue, dans un pays que je connaissais peu, à devoir me bâtir une vie provisoire de trois mois. L'accueil dans cette agence a été des plus cordiaux, et j'ai pu m'installer à un bureau pour me mettre au travail. Une semaine plus tard, on me convoque au bureau du directeur, LE directeur!!! Interloqué, et craignant qu'on me reproche mon inactivité des derniers jours, je montais les escalier un peu fébrilement. Arrivé dans les hautes sphères de la Direction, Dieu me tend un téléphone en me disant "Monsieur Maillet, appelez tout de suite votre mère pour la rassurer, elle est très inquiète, je viens de recevoir une lettre de sa part". Déjà, je comprends que mon plus grand ennemi, c'est la poste, institution de collabos qui participent aux plans de ma mère. J'appelle mon père, qui, navré, comprend que la situation a une fois encore pris des proportions démesurées. Après avoir raccroché, je lis la lettre avec le Directeur (Dieu, donc) et là je n'ai pu m'empêcher de sourire en voyant jusqu'où les démons maternels pouvaient aller. Ma mère tenait pour personnellement responsable de moi Dieu. J'avais l'impression d'appartenir à la Camora, et d'entendre un Corléone proférer des menaces si l'on ne me ramenait pas sain et sauf au bercail à la fin de ce stage.
Ma pauvre maman, tout cet amour que tu nous dispense nous étouffe parfois, il nous prend à la gorge, ton étreinte nous bloque la respiration. Mais devant tant de preuves de ton dévouement total, tant de gestes tendant à faire de nous les seuls trésors à tes yeux, les larmes me viennent. Et je comprends que la maternité, si elle t'a donné une raison de vivre, est également dure à porter dans ce sens qu'elle n'est qu'un état passager que tu as dû abandonner à regret. Je comprends que la chair de ta chair se détache de ton corps, que nous sommes une partie de toi, et que cette ablation laisse des cicatrices profondes. Et comme si nous étions des membres dont on t'avait amputés, tu continues à nous sentir malgré la dustance.
Maman, je t'aime.