mercredi, mars 22, 2006

Ingres et moi

Aujourd'hui, je suis allé regarder les tableaux exposés au Louvre pour l'exposition rétrospective consacrée à Ingres.
Des sentiments forts raisonnent en moi quand je me poste devant un portrait bourgeois ou une figure allégorique. J'adore les contrastes, dans ses nus féminins, entre les corps épurés, simples et lisses, et les accessoires sophistiqués, riches et raffinés qui entourent ces femmes. Dans la Grande Odalisque surtout, l'éventail, le turban, les draperies sont autant d'éléments délicats, précieux, travaillés dans la précision des détails. Au milieu, le corps cru et laiteux de cette femme qui regarde froidement le spectateur.
Quant il s'attaque aux sujets religieux, Ingres élève ses Vierge à une dimension mystique et irréelle. Je n'ai aucune éducation religieuse, une aversion pour tout ce qui touche à l'Eglise, mais ces figures maternelles, douces et pleines d'amour pur, me permettent de comprendre le spirituel des scènes. L'Eucharisie notamment. La Vierge baisse des yeux lourds de bonté et de respect sur un petit cercle blanc renfermant toute l'essence du Sauveur. Ce tableau me permet de comprendre toute la déférence accordée par les chrétiens à un simple morceau de pain.
J'ai aussi été touché par les portraits bourgeois de femmes dans leur intérieur, portant des tenues somptueuses. Je me suis déjà livré à propos de mon amour de Madame de Senonnes. Elle est décidément la peinture la plus forte à mes yeux. Mais j'ai découvert d'autres portraits, exprimant tout le luxe, la préciosité de la société aristocratique de la monarchie restaurée. L'opulence des ornements, des parrures, des coiffures, le rendu des tissus riches des vêtements. Cela me renvoie à cette micro-société aristocratique ou bourgeoise d'affaire, qui enfermait les femme dans des salons cossus, les écrins de bijoux de sensualité qu'Ingres s'est plu à peindre. Les femmes qu'il a peintes ont souvent des regards apeurés, animaux traqués, trophés de chasseurs nobles accrochés dans des décors somptueux. Parfois, la femme apparait forte, adossée à un mirroir, se détournant de son reflet, comme refusant de n'être qu'un bel objet. Elle porte un regard éfrontée sur le spectateur. Et c'est Ingres qui nous dit "regardez cette femme, regardez la prendre sa place dans la société qu'inventera la III° République".
Voilà pourquoi je suis amoureux des femmes peintes par cet artistes, mélanges de sensualité, de mélancolie, et de rebellion. Elles s'affirment, dans une atmosphère charnelle et douce, qui m'apparait comme une révolution tranquille.