mercredi, novembre 30, 2005

Redevenons légers


Jusque là j'ai été trop sérieux. Toi qui es à présent dans l'autre monde, la vie ne doit pas être rose tous les jours. Je vais essayer de retrouver ma verve et égayer tes jours (c'est longs l'éternité, c'est fou ce qu'on n'en a pas conscience).
Je pourrais pas exemple te raconter une chose anodine et en faire une scène comique. Un de ces grands moments couverts de ridicule dont on ressort en ce disant qu'on devrait pouvoir remplir l'Olympia les doigts dans le nez.
Et bien hier, je prends l'ascenseur, j'appuie sur le bouton du quatrième étage. Jusque là tout est plutôt logique dans la mesure où il s'agit de l'étage où je vis. La cabine monte, et dans son élan se bloque. Un peu pressé par un rendez-vous avec Caroll, je me disais que c'était bien là ma veine, qu'à l'aube du XXI° siècle, à l'heure de l'internet, moi, bizarrement, j'avais fait le choix de ne pas avoir de téléphone portable. Le progrès doit avoir du bon dans les instants de grande solitude...
Donc frénétiquement je pressais le bouton de l'alarme. En me disant que quelqu'un finirait par venir. La chaleur venant j'ai même ouvert les portes de la cabine, et là je m'aperçois que je distingue des formes à travers une fente. Des appels venaient de la cage d'ascenseur, me laissant croire à une délivrance imminente. Je perçois la voix de ma concierge me demandant à quel niveau je me situe. Bien étonnante question en vérité... et par la fente je vois des tas de sacs poubelle. Je suis donc à n'en pas douter au sous-sol puisque j'ai le vide-ordures sous le nez. La concierge interloquée poursuit ses investigations. Elle cherche, tape, ouvre des portes, et moi j'attends, bien sagement, au sous-sol. Bientôt je l'entends dire qu'elle va chercher les clés du voisin, qu'il faut qu'elle s'introduise chez lui pour venir me chercher. Ah donc un voisin habite au sous-sol. Mais dans quelle ère vivons nous... des pauvres gens vivent, à Neuilly, dans les caves des riches. La vie est une pute.
Enfin j'entends des clés, une serrure qui cède, et la porte qui s'ouvre. Et là, je reste stupéfait. Je me trouve en fait au dernier étage du bâtiment, qui se trouve être occupé intégralement par un vieux monsieur. Tout l'étage constitue son appartement. Et ce que j'ai pris pour des poubelles n'est en fait que l'entrée de ce voisin.
Vois-tu, Sucrette, c'est à ce moment que je me suis dit que même les riches peuvent avoir des gouts de chiotte en terme de décoration.

mardi, novembre 29, 2005

Ces instants qui éclairent la journée

Aujourd'hui il m'est arrivée une de ces petites choses qui éclairent nos journées. Dans un instant très court, aussi rapide qu'un battement de cil, on se métamorphose en un être supérieur, on croit atteindre le degré d'exception.
Pour toi, Sucrette, naturellement ces petits riens se résumaient à l'arrivée d'un nouveau jouet, la caresse furtive d'un de nous, un oiseau traversant ton champs de vision. Pour moi il en a été autrement cet après-midi.
Le lieu n'a que peu d'importance, l'heure ou les circonstances. Tout ça n'est qu'accessoire au regard du plaisir éphémère que ce moment m'a apporté. Il a suffit que ce garçon me dévisage avec envie, qu'il fixe ses yeux sur moi, qu'il les boulonne droit dans les miens pour que subitement j'en dégage une sorte de satisfaction. C'est là précisément que j'ai pris conscience d'exister pour les autres, ces autres qui occupent la scène de nos vie, ces figurants qui partagent notre décor. Le simple échange des regards, interaction avec un charmant inconnu, m'a élevé au rang de Remarquable. Pour quelques fragments de temps j'ai eu l'impression agréable d'être différent, attirant, désirable.
Tout ça n'a duré qu'une seconde, et je suis retourné dans la masse des Insignifiants, mais avec le sentiment d'avoir existé aux yeux de quelqu'un juste le temps d'un regard.

lundi, novembre 28, 2005







Ainsi elle m'a fait
Cette femme que tu vois là, Sucrette, elle fut ma grand mère. Je l'ai connu vieillissante, puis vieille, puis sénile et réduite au lit. Je l'ai connu élégante et droite, puis ramassée sur une vieille robe de chambre, les cheveux collés de crasse. Je l'ai vu évoluer dans un salon bien meublé, parfumée au Rive Gauche, des bagues à tous les doigts. Puis je l'ai vu négligée, souillée, repoussante. Je l'ai écouté raconter une vie merveilleuse, écartée entre l'Afrique et la France, puis je l'ai entendu babiller de vague sons.
Mais ma grand-mère a aussi été une mère, celle de ma propre maman. En retrouvant ces photos, tout son passé me reviens. Celui qu'elle a partagé avec moi, celui dont j'ai hérité, l'histoire de ma famille. Et j'imagine sa vie, je l'imagine conduisant une vieille voiture, promenant sa toilette du dimanche dans les rues de Dakar. Cette silhouette fluette défile dans les rues de la kasbah des Oudaya à Rabat, jeune mère loin de son mari. Une petite dame au tein mat et aux regard autoritaire promène ses enfants dans un parc à Bourges ou à Avrillé.
Ce sont les images qui me restent de ma grand-mère, Sucrette. Derrière ces images, une foule de principes, de mots et de traits de caractèr e qu'on peut lirechez moi, par effet de transmarence. Voir ma grand-mère, c'est un peu me comprendre.

dimanche, novembre 27, 2005


La claustration des âmes


Le musée d'Orsay est un temple de la Culture, et je travaille dans la congrégation qui vénère le dieu Impressionniste. La vie monacale a ceci de noble qu'elle expie les péchés d'inculture de nos semblables. Mais la claustration est aliénante.

Je vais donc aujourd'hui, ma Sucrette, oeuvrer au musée pour l'élévation des âmes, pour que la Grâce vienne toucher chaque visiteur en prière devant Millet, Ingres ou Van Gogh. Il m'en coutera un sacrifice, une flagellation morale. La caisse 4 sera mon cilice, je mourrai en croix sur elle aujourd'hui.


Mais heureusement, parfois des voix s'élèvent à l'unisson dans la nef du temple d'Orsay, qui rendent l'enfermement plus doux et le font ressembler à une voe ordinaire. Je vais retrouver la "mère de mes enfants", nous dirons la messe et communierons ensemble aujourd'hui.

amen.

samedi, novembre 26, 2005

Toujours remettre à demain ce qui fait chier aujourd'ui


Là, ma Sucrette, plus moyen de reculer...

La vie professionnelle m'attend, je le sais, je le sens. Un employeur s'ennuie de ne pas recevoir ma candidature. Alors je rédige, j'envoie, je poste. Les lettres de motivation pleuvent, les "veuillez croire en l'expression de toute ma considération" tombent sentencieusement.
Bientôt, Sucrette, j'aurai amassé assez d'argent pour dédier un autel à ton nom. Sainte Sucrette mère de tous les chats.

vendredi, novembre 25, 2005


J'avais envie de te présenter, dire qui était Sucrette. Quelle chatte merveilleuse elle avait été.

Tu es arrivée par accident chez nous, entrée par une porte dérobée, pour notre anniversaire à Frédéric et moi. 1989... Au printemps, Stéphane Piton nous avait montré une caisse pleine de chatons, petites boules de poils gigottantes et criantes. Je voulais un beau chat blanc aux yeux verts, et puis il a posé un bébé chat tout gris dans le creux de ma main. La chaleur de ton petit ventre, un appétit qu'on devinait énorme, j'avais changé d'avis. Le blanc est trop salissant, et le vert d'un tel ennui. C'était toi que je voulais. Sans concertation avec les parents, nous avions demandé à Stéphane de te ramener dans une belle boîte pour notre anniversaire, au mois de mai.
Evidemment, papa, qui déteste les chats, a tout de suite repoussé la belle boîte vers la porte de sortie. Hors de question qu'un chat et lui cohabitent, partagent leur territoir. Mais tu étais bien maigre, faible et sans grands espoirs de vivre longtemps. Alors il a cédé. Papa cède toujours.

jeudi, novembre 24, 2005

Just watch me burn

Ma Sucrette c'est ton papa qui te parle.

Là d'où tu m'écoutes, tous les chats vivent libres et égaux, plus de race, plus de poils courts, de poils longs. Vous êtes tous des chats, juste des chats.

Là d'où tu m'écoutes, tu as retrouvé tes deux yeux, enfin. J'espère que tu as trouvé un radiateur au paradis des chats. Sinon, monte un syndicat, et vous les opprimés dites non à l'exploitation des chats de gouttière pas les chats de mémères.

Ma Sucrette, à présent je vais te raconter comment nous survivons, nous ta famille. Parce que, oui, nous survivons...